« Docteur Mussolini, un passé sensible »
Reportage sur une exposition passionnante à l’Université de Lausanne

L’Université de Lausanne a présenté du 13 novembre 2024 au 21 septembre 2025 une exposition intitulée « Docteur Mussolini, un passé sensible » dans le bâtiment Anthropole. Cette exposition portait sur l’attribution controversée d’un doctorat honoris causa au dictateur fasciste italien Benito Mussolini en 1937. Cette démarche mémorielle interroge un passé sensible et ses résonances avec des phénomènes contemporains. François Desgaliers a visité l’exposition et s’est entretenu avec Antoine Chollet, enseignant et chercheur en pensée politique à l’Université de Lausanne.
Antoine Chollet, maître d’enseignement et de recherche en pensée politique au Centre Walras-Pareto de l’Université de Lausanne, nous livre son analyse de cette exposition dans un entretien audio approfondi. Spécialiste reconnu de la démocratie directe et du populisme, auteur notamment de « L’antipopulisme ou la nouvelle haine de la démocratie » (2023), Antoine Chollet apporte un éclairage particulièrement pertinent sur les enjeux soulevés par cette exposition. Son expertise sur les mouvements antifascistes et sa vision de la lutte contre les dérives autoritaires contemporaines enrichissent considérablement notre compréhension de cet épisode historique.
Interview d’Antoine Chollet réalisée le 23 octobre 2025 par François Desgalier

Mes impressions personnelles
« Cette exposition fait ressurgir un passé révolu pour les personnes qui n’ont pas connu la période tourmentée du fascisme; ce qui ne veut pas dire que cette époque n’a pas essaimé aujourd’hui une nouvelle forme de fascisme différente de celle des contextes des années 30-40.
L’exposition est bien faite, bien expliquée, avec des documents d’origine, des photos d’archives, des textes et des enregistrements d’époque. Il y a aussi des enregistrements de personnes qui prennent le recul sur le passé, comme le Professeur Frédéric Herman, recteur de l’Université de Lausanne, qui dit que ça pourrait se reproduire, et c’est hélas en train de se reproduire. Grâce à cette exposition, j’ai appris que les germes de l’idéologie du fascisme remonte à bien avant les années 30, lors de la Première Guerre mondiale en 14-18. Et déjà le fascisme de 1918 est différent de celui des années 30. J’ai découvert que Mussolini était à Lausanne durant une période, qu’il s’est réfugié à Lausanne, ce que j’ignorais complètement. Je savais qu’il avait reçu un doctorat honoris causa de l’Université de Lausanne mais j’ignorais dans quel contexte et dans quelles circonstances il l’avait obtenu, avec les accointances de certains politiques de l’époque. Il y avait déjà tout un contexte qui favorisait cela.
J’ignorais aussi que Mussolini était arrivé à Lausanne comme vagabond – c’était déjà surprenant – mais en plus qu’il était devenu un militant socialiste ! C’est vraiment surprenant car le socialisme n’a jamais fait œuvre de promouvoir des idées et politiques extrémistes. Les socialistes sont à l’opposé de l’extrême droite. Pour un socialiste qui fuit et qui devient fasciste, c’est étonnant, parce que ce sont deux antagonismes dans sa vie. On peut se poser la question : comment est-il passé de l’un à l’autre ? A l’Université de Lausanne, il rencontre un de ses professeurs qui était une figure du fascisme à Lausanne. C’est probablement ce professeur qui l’a influencé. C’est peut-être ce professeur a contribué ce qu’allait devenir Mussolini plus tard : un dictateur fasciste. Et après, même la Suisse et Lausanne sont restées des terres d’asile car il prévoyait de quitter l’Italie pour se réfugier en Suisse. En 1945, juste avant d’arriver en Suisse, il est rattrapé et exécuté. L’histoire est surprenante.
Ces années étaient compliquées car les citoyens avaient moins de liberté et il y avait des accointances entre les autorités helvétiques et le fascisme. Notamment, quand le Conseil d’État vaudois avait offert la reproduction d’un buste en or de l’empereur romain Auguste retrouvé à Avenches. Il y avait une espèce de fascination pour ce régime et de la non-clairvoyance.
C’est une exposition intéressante. On peut dresser des parallèles historiques avec ce qui est en train de ressurgir maintenant. On peut comprendre que les analyses de l’histoire peuvent déclencher la clairvoyance pour que ça ne ressurgisse pas. C’est une leçon par rapport au présent. »
Francois Desgalier
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