institution, témoignages

Enquête sur la stigmatisation du handicap

J’ai choisi de réaliser une enquête sur la stigmatisation du handicap car je suis directement concerné par ce sujet étant moi-même en situation de handicap. Stigmatiser signifie mettre à l’écart une personne à cause de ses différences. C’est aussi penser ou dire d’une personne, qui a par exemple un handicap, qu’elle est inférieure à cause de son handicap.

Nous pouvons également parler de « handicap situationnel » car nous pouvons tous, selon le contexte, nous retrouver en situation de handicap. Par exemple, je suis en bonne santé et j’habite au 6ème étage, je n’ai pas de difficulté à monter les escaliers. Par contre, si je me casse une jambe, je vis un handicap situationnel car je ne peux plus monter les 6 étages. Donc, la notion de handicap dépend du contexte.

Le but de cette enquête est de mieux comprendre les enjeux de la stigmatisation des personnes en situation de handicap. Pourquoi, par exemple, les personnes en situation de handicap sont parfois mises à l’écart ? Pourquoi est-ce que la société a peur des personnes qui souffrent d’une maladie mentale ? C’est ce que je cherche à comprendre.

Pour mener cette enquête, j’ai interviewé 6 personnes provenant de différents horizons. Ce sont des personnes très différentes les unes des autres. Il y a 3 personnes en situation de handicap et 3 professionnels qui accompagnent des personnes en situation de handicap qui sont suisses ou d’origine étrangère. J’ai fait ce choix car je voulais savoir si le point de vue sur la stigmatisation des personnes en situation de handicap varie en fonction de la provenance ou de la culture des personnes interviewées. Par exemple, est-ce qu’une personne en situation de handicap est perçue de la même manière en Suisse et en Afghanistan (lieu d’origine de Ramzia Nabi, l’une des personnes interviewées) ?

A travers ces interviews, j’ai aussi voulu recueillir des propositions qui s’adressent aux décideurs politiques afin qu’ils ou elles puissent améliorer la prise en charge des personnes en situation de handcap.

Interviews

« Beaucoup de gens en dehors du milieu du handicap rejettent et se moquent des personnes handicapées »

Shupriya Ulli, résidente du groupe de vie « La Vie-Là », Eben-Hézer Lausanne

« Dans la société, les gens ont peur des personnes qui ont des problèmes psychologiques car ils ne comprennent pas »

Alexandra Boillat, témoin externe d’Eben-Hézer Lausanne

« Les gens ont peur des mots et se disent par exemple : « schizophrénie c’est comme psychopathe : ce sont des gens dangereux » et ils ne cherchent pas à comprendre »

Joël Boillat, témoin externe d’Eben-Hézer Lausanne

« Je pense que la stigmatisation est différente selon le type de handicap car certains handicaps sont visibles et d’autres le sont moins »

Didier Burgi, psychologue clinicien, expert externe d’Eben-Hézer Lausanne

« Une personne en situation de handicap est une personne comme nous »

Ramzia Nabi, originaire d’Afghanistan, employée de maison du groupe de vie « Sagittaire » et du « CDL », Eben-Hézer Lausanne

« Pour moi, la stigmatisation, il faut aussi la regarder du point de vue du ressenti de la personne »

Dominique Praplan, directeur d’Eben-Hézer Lausanne

Conclusions de l’enquête

Les représentations sociales du handicap

Il existe une stigmatisation de la société envers les personnes en situation de handicap. Elle opère notamment à travers les médias, comme les séries télé « dès qu’il y a un meurtre, on entend souvent que le meurtrier est schizophrène ou bipolaire » selon Alexandra Boillat. Ainsi, selon elle, « lorsque les médias parlent du handicap, ils utilisent des préjugés sur le handicap comme des raccourcis. Les gens ne comprennent pas, ils ont par exemple peur de s’investir dans une relation avec une personne en situation de handicap ». Cette stigmatisation, basée sur la différence, est « injuste » souligne Shupriya Ulli, car beaucoup de personnes rejettent les personnes en situation de handicap car elles sont différentes ».

Du ressenti à l’auto-stigmatisation

Selon Dominique Praplan, la stigmatisation est un phénomène complexe car on peut être stigmatisé ou se sentir stigmatisé. Il faut partir de ce que la personne ressent. La stigmatisation peut résulter de petits gestes ou de paroles déplacés, de besoins non satisfaits, d’absence de droits, d’absence d’accès ou de différences visibles. Il a par exemple observé que des résidents d’Eben-Hézer Lausanne disent parfois que des regards sur leurs épaules ou des paroles peuvent être blessants. Pour ma part, je pense qu’une idée négative de la maladie provoque, chez certains résidents, une sorte d’auto-stigmatisation. En effet, il arrive qu’ils ne se sentent pas capables de faire quelque chose ou d’aller à quelque part de peur d’être jugés.

« Une personne en situation de handicap est une personne comme nous »

« Une personne en situation de handicap est une personne comme nous » affirme Ramzia Nabi. Dans son pays d’origine, l’Afghanistan, « c’est la famille qui s’occupe des personnes en situation de handicap ». Cela nous indique donc que, selon le type de société et la culture, la perception des personnes en situation de handicap est différente. Mais il faut prendre en considération dans ce cas que les dispositifs de la société pour la prise en charge des personnes en situation de handicap sont inexisants en Afghanistan, comme les institutions, les transports adaptés etc. Donc, en Afghanistan, il n’y a pas le choix de placer ou non une personne en situation de handicap en institution, comme en Suisse, car elles n’existent pas.

Une pluralité de situations de handicap

Selon Didier Burgi, « Toutes les personnes ne présentent pas le même type de handicap ». Et donc la stigmatisation varie selon les situations de handicap qui peuvent être plus ou moins visibles. Il oberve aussi qu’il y a « une certaine empathie de la société selon le type de handicap ».

Que feriez-vous pour améliorer la situation en Suisse ?

Didier Burgi propose « de renforcer les moyens mis à disposition des différents réseaux professionnels qui accompagnent les personnes handicapées pour défendre leurs intérêts. Au niveau politique, il propose de faire en sorte que chaque fois que l’on aborde des questions de santé, la problématique des personnes en situation de handicap soit systématiquement abordée. Cette question devrait être aussi prise en compte dans d’autres questions politiques plus générales comme les logements et les transports par exemple ».

Dominique Praplan aimerait « vraiment que la personne en situation de handicap ait exactement les mêmes droits, puisse exprimer les mêmes souhaits, et ait des réponses à ses besoins en termes de santé comme le reste de la population, qu’il n’y ait pas de différences ».

Shupriya Ulli propose « que chaque personne en situation de handicap puisse voter », car elle est elle-même en quête de retrouver ce droit qu’elle a perdu.

Joël Boillat propose quant à lui de mieux inclure les personnes en situation de handicap dans les entreprises et qu’il y ait une meilleure information sur le handicap.

Alexandra Boillat propose « que les personnes en situation de handicap soient mieux informées sur les possiblités qu’elles ont pour intégrer le marché du travail ce qui les valorise ».

Et pour Ramzia Nabi : « si j’étais présidente de la Suisse, j’irais rendre visite à tous les résidents une fois par année »

Jules Brischoux, en collaboration avec la rédaction de Ricochets